- J’en sais rien, t’as une idée ? »
Pas de réponse.
Il avait toujours de bonnes idées, le chat, mais ce soir-là il semblait que la situation lui échappait. Ce soir-là il me tournait le dos et, assis sur la commode, il observait par la fenêtre l’eau qui n'en finissait pas de monter.
« Tu crois que ça va s’arrêter ? »
En guise de réponse il se leva, s’étira et se remit à contempler les flots.
Il était inquiet. Les chats détestent l’eau c’est bien connu.
« V. n’est toujours pas revenu…je me demande si…
- V. c’est le grand brun avec le sweat des Red Sox ?
- Oui.
- Alors laisse tomber.
- Que… ?
- Regarde. »
Je me penchai par la fenêtre, V. était là, flottant à la surface, accroché à une planche de bois. Il était bleu.
« On va le rattraper il a l’air mal en point, pousse toi je vais ouvrir !
- Pas la peine, répondit le chat. Regarde mieux.
- Merde. »
Si V. était encore accroché à la planche, c’est parce qu’il y était cloué. Un bout de bois sortait de son dos.
Et il lui manquait une jambe.
Le chat bâilla un long moment, tandis que je tentai en vain de retrouver mon équilibre. Je m’effondrai dans le fauteuil.
« Quand est-ce que ça va s’arrêter ? »
Pas de réponse.
Le chat ne répondait pas souvent aux questions et encore moins lorsqu’il n’avait pas la réponse.
« Quand est-ce que ça a commencé ? » demanda le chat.
L’eau est tombée, comme ça, tout à coup. Je me souviens très bien de ce jour. Pas parce qu’il s’est mis à pleuvoir, ça arrive souvent ça ; ça arrivait souvent. Mais parce que c’est précisément ce jour-là que le chat a choisi pour se mettre à parler. Il faisait beau. Le chat a dit : « Il va pleuvoir »
Le soir l’eau s’est mis à tomber. Des trombes et des trombes d’eau. Comme si la mer se déversait dans le ciel, et qu’à son tour, le ciel se déversait sur la terre. L’eau n’a pas arrêté de tomber depuis ce soir où le chat a parlé.
Et maintenant je suis là, recroquevillée dans ce vieux fauteuil de velours rouge mité, au dernier étage de l’hôtel. Le seul de la ville qui n’a pas encore été submergé. Il faudrait partir, V. flotte devant ma fenêtre crucifié à une vieille planche moisie, D. et L. ont abandonné il y a longtemps. Mais je ne quitterai pas l’hôtel, même s’ils venaient à mon secours.
Le chat dit que ça s’arrêtera un jour. Les chats se trompent rarement.
« Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? demanda le chat.
- Attendre. »