lundi 22 septembre 2008

Impasse

« Qu’est-ce que tu vas faire maintenant? demanda le chat.

- J’en sais rien, t’as une idée ? »

Pas de réponse.

Il avait toujours de bonnes idées, le chat, mais ce soir-là il semblait que la situation lui échappait. Ce soir-là il me tournait le dos et, assis sur la commode, il observait par la fenêtre l’eau qui n'en finissait pas de monter.

« Tu crois que ça va s’arrêter ? »

En guise de réponse il se leva, s’étira et se remit à contempler les flots.

Il était inquiet. Les chats détestent l’eau c’est bien connu.

« V. n’est toujours pas revenu…je me demande si…

- V. c’est le grand brun avec le sweat des Red Sox ?

- Oui.

- Alors laisse tomber.

- Que… ?

- Regarde. »

Je me penchai par la fenêtre, V. était là, flottant à la surface, accroché à une planche de bois. Il était bleu.

« On va le rattraper il a l’air mal en point, pousse toi je vais ouvrir !

- Pas la peine, répondit le chat. Regarde mieux.

- Merde. »

Si V. était encore accroché à la planche, c’est parce qu’il y était cloué. Un bout de bois sortait de son dos.

Et il lui manquait une jambe.

Le chat bâilla un long moment, tandis que je tentai en vain de retrouver mon équilibre. Je m’effondrai dans le fauteuil.

« Quand est-ce que ça va s’arrêter ? »

Pas de réponse.

Le chat ne répondait pas souvent aux questions et encore moins lorsqu’il n’avait pas la réponse.

« Quand est-ce que ça a commencé ? » demanda le chat.

L’eau est tombée, comme ça, tout à coup. Je me souviens très bien de ce jour. Pas parce qu’il s’est mis à pleuvoir, ça arrive souvent ça ; ça arrivait souvent. Mais parce que c’est précisément ce jour-là que le chat a choisi pour se mettre à parler. Il faisait beau. Le chat a dit : « Il va pleuvoir »

Le soir l’eau s’est mis à tomber. Des trombes et des trombes d’eau. Comme si la mer se déversait dans le ciel, et qu’à son tour, le ciel se déversait sur la terre. L’eau n’a pas arrêté de tomber depuis ce soir où le chat a parlé.

Et maintenant je suis là, recroquevillée dans ce vieux fauteuil de velours rouge mité, au dernier étage de l’hôtel. Le seul de la ville qui n’a pas encore été submergé. Il faudrait partir, V. flotte devant ma fenêtre crucifié à une vieille planche moisie, D. et L. ont abandonné il y a longtemps. Mais je ne quitterai pas l’hôtel, même s’ils venaient à mon secours.

Le chat dit que ça s’arrêtera un jour. Les chats se trompent rarement.

« Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? demanda le chat.

- Attendre. »

vendredi 5 septembre 2008

un film ordinaire

Là ! C’est là que ma vie s’est arrêtée.

Rembobine Jack.

Bruit de bobine qui se rembobine

Stop !

Je remets le passage chef ?

Vas-y

Il y a un grand type, et une môme avec lui. Elle doit avoir vingt ans à tout casser. Elle porte un blouson de cuir, un jean, un sac en bandoulière. Plutôt mignonne. Lui il est ordinaire, pas beau gosse, pas moche non plus. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps, mais elle ne l’a pas encore embrassé. Est-ce qu’ils sont ensemble ? On dirait pas. Mais ils ont l’air proche. Sa sœur peut-être ?

Ils sont où ?

J’en sais rien, Paris ?

Possible

Ils se dirigent vers un bar. Ils entrent, ils s’installent. Il va commander à boire. Elle est seule à la table, un serveur passe, bonjour. Bonjour. Ça va ? Oui merci. Sourire. Il est pas mal ce serveur. Elle n’est pas vraiment enchantée d’être là. Elle a pensé à lui pendant tout le temps. Elle n’a pensé qu’à lui. Elle sait que c’est rarement réciproque, mais c’est pas grave. Elle a failli abandonner et ne pas revenir. Ça sert à rien. Mais maintenant qu’elle est là, peut-être que c’est encore possible après tout. Avec lui on ne sait jamais. Elle sait. Mais c’est pas grave.

Un peu longuet non ?

Un peu. Accélère Jack

Ah on a raté le moment où ils s’embrassent.

Ah donc c’est pas sa sœur ! Vous êtes pas sa sœur ?

Ça va être là, tais-toi !

« Il faut que je te dise quelque chose.

Tu parles comme dans les films.

Haha…bon…je vais être papa. »

Stop ! Vous voyez, c’est là ! Juste le quart de seconde après sa phrase, on voit ma tête là juste avant le haussement de sourcils, avant le « c’est vrai » et avant tout le reste. C’est juste là.

Oui d’accord, je vois bien, c’est vrai quand on regarde on voit bien, hein Jack ?

Ouep chef !

Vous pouvez prendre ce quart de seconde, j’en veux plus, je vous le donne

On avait fixé la rémunéra…..

Non, non je vous l’offre, je vous assure, je ne veux pas vendre ça. Je veux juste l’oublier. Prenez le pour votre expo, mais ne donnez pas mon nom.

Ça sera vraisemblablement ma pièce maîtresse…vous êtes sûre de vous ?

Certaine.

Ce soir là, après m’avoir annoncé la nouvelle on a trinqué, on a bu une bière, on a rigolé, on était un peu gêné, mais mon cerveau avait réagi tellement vite qu’il n’avait rien pu voir.

Il est allé commander deux autres bières au comptoir. J’ai laissé un billet sur la table, j’ai pris mon sac et je suis partie.

Je ne sais pas s’il m’a suivie. Je ne sais pas s’il a essayé de me rattraper. Honnêtement je ne pense pas. De toute façon ça n’aurait servi à rien. Je crois que j’ai fait ce qu’il y avait à faire. Pour une fois.

J’ai pleuré sur le trajet du retour. Ça faisait des lustres…

Et puis sur le mur devant moi cette affiche. L’artiste Arturo V. expose à Paris. Le thème ? Lost Things.