dimanche 24 février 2008

La nuit

Il faut dormir. Allez. Allez essaye.

Ça marche pas. Ça marche jamais.

Il est deux heures du matin. Dans deux heures il sera quatre heures du matin. Et dans quatre heures il faudra se lever. Dors.



Il est deux heures du matin. Je me lève et je vais éteindre la radio. J’allume la lumière. Je m’assieds par terre contre le mur. Elle est bien vide ma chambre maintenant que j’ai décollé tout le papier peint. Il faudrait que je pense à la repeindre un de ces quatre. Je pourrais le faire maintenant, mais ça risque de réveiller les autres.

Va te coucher et dors.


Je me couche par terre. Le parquet est vraiment froid, je comprends pourquoi les chats ne pioncent que sur mon lit. Mon lit est chaud, mais à force de rester allongée dessus je me casse le dos. Je me redresse.

Combien de temps as-tu passé à attendre comme ça ? Tu sais bien qu’un jour il faudra grandir et arrêter d’avoir peur.

C’est vrai. C’est idiot d’avoir aussi peur.


Mais…


Mais les fantômes.


Les fantômes ?


Oui. Enfin, je sais pas mais, y’a quelque chose là. Je peux pas dormir.


Mais tu ne peux pas vivre si tu ne dors pas.


Je sais. Parfois je dors.



Je reste assise là sur le parquet froid. Toute la nuit. Cette nuit c’est une nuit comme ça, une de ces nuits où je reste assise là sur le parquet froid et j’attends. Parfois je m’endors là et l’un des chats vient dormir sur moi. Je dois être moelleuse et chaude vu de dehors. Quand je me réveille il saute par terre et s’en va. Alors je me redresse et j’attends.
Tout semble très faux quand on ne dort pas la nuit.
Le mur devient mou, il va sûrement encore s’écrouler. S'il s’écroule sur moi ce sera tant pis. Le parquet flotte. Normal. La lumière est bizarre et trop intense. Mais si j’éteins j’ai peur. Parfois j’éteins. Alors j’ai peur. Je rallume.

Arrête de t’apitoyer et retourne dans ton lit. Ou fais quelque chose, quelque chose d’utile.

Il est quatre heures.



Avant je lisais. Mais c’est par phases. En ce moment je ne lis pas. Parfois je travaille. Mais souvent je dois rester là, assise par terre à attendre. Parfois je vais à la salle de bain pour m’asseoir. Le carrelage est chaud mais il n’y a pas de mur pour s’adosser.

Pourquoi tu ne dors pas ?

Tout est faux.


C’est déjà le matin.

jeudi 7 février 2008

A bout de souffle

Une heure du matin, je marche sous la lumière des lampadaires à côté de S. Elle commence déjà à dresser le bilan de la soirée et à envoyer deux-trois vannes sur les autres invités. Je ne sais pas si elle est bourrée ou juste heureuse... En tout cas, sa bonne humeur est contagieuse.

Petit à petit, on se laisse gagner par l'euphorie. On rit beaucoup trop fort. Je traverse le passage piéton en sautant d'une bande blanche à l'autre. Je suis immédiatement imité par S. qui me suit en faisant des petits bonds. Dans mon dos, j'entends un petit hoquet dans son rire à chaque fois qu'elle atterrit. Comme des gamins, on recommence au passage piéton suivant, en arrière cette fois.

"Super... crevant... ton truc, me dit-elle à bout de souffle. Mais vachement tonifiant... je me demande... pourquoi les mémés font pas ça... à la place de l'aquagym...
- Ouais c'est dommage, sérieux... Si elles le faisaient, je te jure que j'me lèverais pour les voir aller au marché."

La station de métro. En descendant les escaliers, j'entends au loin le bruit familier d'une roue qui grince contre un rail et me mets à dévaler les marches deux par deux. Je lui crie "Allez, allez, on le chope celui-là !". Elle me répond que je suis un con, que je fais chier, qu'on n'est pas pressé, mais j'entends bien qu'elle s'est mise à tracer elle aussi. Un dernier sprint sur le quai et on a juste le temps de sauter dans le wagon avant que les portes automatiques ne se referment. La pauvre S. n'arrive plus du tout à reprendre sa respiration.

"Rien à foutre... je fais plus de sport... pendant un an...
- T'en as pas fait depuis 1993, tu sais."

En temps normal, elle me répondrait "ta gueule", mais là elle est exténuée. On s'effondre comme deux loques sur les sièges. Je lui souris.
La station d'après, un mec barbu rentre à l'autre bout du wagon.

"Putain, regarde, regarde, me chuchote S. à l'oreille. Tu vois ce que je vois ?
- Quoi ?
- Le mec a des gants en polaire.
- Oh nan, il a pas osé..."

On commence à se marrer, et en continuant à chuchoter, on conclut que les gros gants en polaire sont vraiment le signe numéro un de la loose.
"Franchement le sac-à-dos de baroudeur... celui avec des lacets-qui-servent-à-rien... il arrive pas très loin derrière au classement", je lui murmure. Elle acquiesce puis explose de rire. Je tourne la tête. Le barbu a un sac-à-dos à lacets. Le fou rire a bien dû duré cinq minutes. On n'en pouvait plus.

C'est ça que j'adore avec S. On a jamais le temps de reprendre son souffle.

vendredi 1 février 2008

Ça crève les yeux pourtant...

Jean Colin-Maillard était un guerrier de Flandres aux allures de géant. Il doit la seconde partie de son nom au maillet qu'il emportait toujours avec lui au combat, et qu'il maniait avec une grande dextérité. Robert le Pieu, alors roi de France, le fit chevalier en 999 au pays de Liège. Il eut les yeux crevés lors de son ultime bataille, menée contre le comte de Louvain. Mais guidé par les cris de ses écuyers, il continua à frapper ses adversaires sans même les voir.

Je ne sais pas ce qui me touche dans cette histoire. Je crois qu'elle me fait vaguement penser à Beethoven... L'image de l'homme qui transcende son infirmité et s'acharne contre le sort. Un Beethoven guerrier dont le sort s'est joué violemment sur une période plus courte.

Et je crois aussi que je suis intrigué par le fait que le nom de Colin-Maillard soit passé à la postérité grâce au jeu en plein air que l'on connaît tous. Ce jeu est aujourd'hui réservé aux enfants, mais il fut pendant un temps le jeu libertin par excellence. Les jeunes femmes y trouvaient un prétexte parfait pour pouvoir effleurer le visage de leurs amants. Mais ce jeu restait tout de même bien innocent...

On était loin du guerrier Flamand qui, les yeux crevés, massacrait ses ennemis au maillet en frappant plus ou moins au hasard. Je crois qu'on appelle ça "l'ironie du sort".