samedi 29 décembre 2007

Sacré Fernand

Confortablement assis dans le canapé du salon, j'épie un peu la pièce pour m'assurer que rien n'a changé. Le papier-peint a jauni -encore un peu plus- mais à part ça, la maison de mes grands-parents a traversé les décennies sans qu'un objet ne bouge. La télévision (ou plutôt "le poste") trône en face du siège de mon grand-père, dont le sport favori est de s'endormir face à l'écran cinq minutes après l'avoir allumé. Vu la qualité des émissions ces temps-ci, je me dis que c'est normal. Il ne le sait pas, mais quand il a les paupières closes, la bouche ouverte et qu'il bave sur son pull, mon papy émet une critique sous-jacente sur le caractère profondément soporifique des programmes télévisuels. Pas bête mon papy. Et de toute façon, il ne regarde pas si souvent la télé. Seul le JT de 20 heures reste pour lui un rendez-vous quotidien immanquable. Hors de question d'en louper la moindre seconde. Je ne sais pas quel genre de cataclysme psychosismique se produirait ici si jamais mon grand-père venait à louper la première note du générique. Je préfère ne pas le savoir.

Je viens d'inventer le mot "psychosismique", mais ce n'est qu'une minuscule trouvaille par rapport aux expressions qu'emploie mon grand-père. Parce que bon, dire "le poste" pour parler de la télévision, ça reste assez commun... dans les maisons de retraite. Ça, et "le transistor" pour parler de la radio. Mais mon papy a des expressions que je n'ai entendues nulle part ailleurs. Mon papy, il dit "les wat's" (abréviation de "waters") pour parler des toilettes. Exemple : "J'vais faire un ptit tour aux wat's avant de partir". Magnifique. Combien sont-ils en France à utiliser encore cette expression dialectale des temps anciens ? Mais l'abréviation géniale qu'utilise mon papy et qui m'a marqué pour la vie est justement celle qui désigne le JT de 20 heures... "Les inform' " (abréviation des "informations", bien sûr). Les inform'. Les informes. On ne pouvait pas trouver plus fin et plus juste pour désigner cet enchevêtrement d'infos traitées par-dessus la jambe. Parce que dans le JT, le présentateur n'hésite pas à s'attarder sur les services après-vente débordés par le retour des jouets de noël défectueux. Mais surtout parce qu'il est capable de le faire juste avant d'évoquer la mort de 200 personnes au Népal à cause de l'effondrement d'un pont. Sans transition. Informes.

Bien sûr, jamais mon grand-père ne se douterait une seule seconde du génie de cette abréviation qu'il utilise tous les jours sans en percevoir les sous-entendus. Mais peu importe. Mon papy fait des critiques involontaires tellement subtiles qu'il ne les comprend pas, et je crois que c'est pour ça que je l'aime bien.

Gimme Shelter

Je l'ai retrouvée assise, toute seule, dans la boue. Autour d'elle, les gens allaient et venaient sans s'arrêter. En m'approchant un peu plus, j'ai vu sur ses joues des traces de rimmel que ses larmes avaient laissées. Elle ne les avait pas essuyées, sans doute pour que je les vois en arrivant.

Elle n'a pas eu besoin de lever les yeux pour savoir que les jambes qui s'étaient immobilisées en face d'elle étaient les miennes. Elle a commencé à me mettre des coups de poings dans les mollets en m'engueulant. Ses mots se mêlaient à ses sanglots et je ne la comprenais pas. Je me suis baissé pour mieux l'entendre. Les coups de poing dans mes jambes se sont transformés en gifles sur mes joues. C'était le prix à payer pour la comprendre. Elle voulait que mon visage porte, lui aussi, une trace de douleur. Puisque la honte ne le faisait pas rougir, elle avait décidé que ses mains s'en chargeraient. "Pourquoi t'es pas venu me chercher ? Pourquoi tu m'as laissé toute seule ?". Bêtement, l'espace d'un instant, j'ai cru que l'écouter aiderait à me faire pardonner. Mais ça ne suffit pas toujours. Rarement même.

Au départ, je la sentais tout contre moi. Je faisais des petits bisous sur ses cheveux bouclés en me demandant si elle pouvait vraiment les sentir. G. a la fâcheuse tendance de tomber amoureuse du chanteur lorsqu'elle le voit sur scène. Je ne sais plus combien de fois je l'ai entendue dire : "à un moment, il m'a souri... je te jure !" Alors j'essayais de lui rappeler un peu ma présence. Mais nous étions perdus, anonymes, ballotés par les mouvements de foule. Le concert a commencé. Je sentais déjà la batterie résonner dans ma cage thoracique. Et se faire péter les tympans à deux mètres des enceintes quand le guitariste se lance dans son premier solo du concert est un des trucs les plus jouissifs que je connaisse. Simplement dans ce genre de moments, je refuse de me contrôler. Il faut se laisser aller à la musique. Sauter, crier, et secouer la tête à s'en faire péter la nuque.

C'est seulement à la fin du solo que j'ai rouvert les yeux. Et je ne savais plus du tout où j'étais. Après avoir dérivé dans la foule, j'étais arrivé au niveau des premiers rangs. Sans la moindre idée d'où était passée G. Bizarrement, je m'en faisais pas. Je me disais qu'elle avait dû, elle aussi, vivre un grand moment.

Je l'ai retrouvée assise, toute seule, dans la boue. Et j'ai senti que j'avais fait une connerie. Après avoir encaissé les coups et les mots, j'ai fini par lui dire que j'étais désolé, que ça n'arriverait plus jamais. J'ai voulu essuyer ses larmes et la boue sur son visage, mais elle ne m'a pas laissé faire. Ensuite, j'ai essayé de la porter dans mes bras jusqu'à la voiture. Mais c'est plus difficile qu'il n'y paraît et j'ai dû abandonner à peine dix mètres plus loin. Je l'ai reposée à terre, tout doucement. J'ai regardé ses joues noircies et je lui ai dit une nouvelle fois que j'étais désolé. Elle a regardé mes joues rougies et elle s'est tu. Mais j'ai compris qu'elle m'avait déjà pardonné.

jeudi 20 décembre 2007

Pixhell

Je lui écrase ma pompe sur la joue, plus par curiosité que par envie de lui faire mal. Puis je lui demande à nouveau le code mais je pense qu'il ne m'entend plus. Il a dû gueuler jusqu'à s'en rendre sourd. Depuis quelques minutes, ses cris de panique se sont transformés en hurlements de douleur.

Quelques coups de pieds dans les côtes plus tard, je lui redemande une dernière fois de me donner la combinaison du coffre. Sa seule réponse est une gerbe de sang sur mes santiags. Un peu déçu par sa réaction, j'enjambe son corps pour observer la boîte métallique encastrée dans le mur. Je me perds quelques instants dans mes pensées en fixant du regard la molette au centre de la petite porte. Un cercle entouré de chiffres, gradués de cinq en cinq. Une seule petite roue pour des dizaines de milliers de possibilités... Soudain, un grognement me rappelle à la réalité. L'homme derrière moi, ou plutôt ce qu'il en reste, a rampé jusqu'à un coin de la pièce où il s'est recroquevillé en position foetale. Je n'ai aucune haine envers ce type, aucune. Je crois juste que tout m'est devenu indifférent.

Je m'assois sur une chaise à côté de lui et m'allume une clope le temps de réfléchir. J'étais persuadé que l'intimidation suffirait. Elle n'a pas suffi. La violence non plus. Même si ça n'est pas évident, je crois que j'ai perdu l'ascendant.

Je sors mon beretta de la poche intérieure de ma veste en cuir, qui garde une forme étrange, comme si le flingue y était toujours. La respiration de l'homme se fait plus bruyante. Je lui souris. Il doit prendre ça pour un geste cynique et méprisant. Si seulement il savait à quel point je suis simplement fatigué de tout cela. Je me penche pour poser délicatement le flingue par terre, et du bout du pied, je l'envoie vers lui. Le choc du pistolet contre le mur le fait sursauter. Il me regarde d'un air interloqué, comme pour me demander la permission de le ramasser. Comme pour s'assurer que je ne prépare rien de louche. Je continue à lui sourire et j'acquiesce d'un mouvement de tête. Sa respiration se calme. Il tend la main pour se saisir du flingue et l'essuie avec sa manche. Il le regarde comme s'il n'en avait jamais vu auparavant. Dans ses yeux, je retrouve soudain l'expression que je vois dans mon miroir chaque matin depuis des mois. De la lassitude. Avec soin, il retire le cran d'arrêt. Je m'apprête à faire un pas décidé dans sa direction, comme je me suis toujours juré de le faire au moment de mourir... si possible. Il lève lentement le pistolet et le pointe sur moi. Je ne trouve pas la force de faire le pas en avant. Mais il ne tire pas.

Il jette le flingue à mes pieds et, en regardant le coffre, me lance : "12-47-28".

dimanche 16 décembre 2007

Moret tu cru ?

C'est une fois assis dans le train, après avoir posé mes sacs, que je me suis demandé si c'était vraiment une bonne idée d'aller à Moret-Veneux-les-Sablons (je n'invente pas cette ville, vérifiez). Mais bon, c'était l'anniversaire de J. , que je connais depuis 10 ans et qui est quand même une fille sacrément chouette (et accessoirement, magnifique).

Mais en arrivant dans sa maison de campagne, j'ai su que j'avais bien fait de venir. C'était la maison de campagne typique, comme on se l'imagine. Des bottes dans l'entrée, des poutres apparentes, des têtes de brochet et de sanglier au mur, des tableaux qui n'ont rien à voir accrochés côte à côte sur des papiers peints improbables. Et puis les anachronismes qui font sourire : un minitel sur une table style Louis XV... et dans la pièce mitoyenne, un écran plat gigantesque à côté de canapés aussi vieux que le père Fourras.

Bref, un lieu magique et puis une soirée très sympa. Des amis, des jolies filles, des inconnus qui se révèlent être des gens super cools. Notamment K., un mec de 2 mètres, massif, qui me balance un petit "moi ? je suis l'arabe de la soirée" pour se présenter. Ou encore C., qui arrive presque à me faire croire que je suis intéressant lorsque je lui explique que les Italiens ont repris le concept Pimp my ride sur MTV, mais avec des vespas. Sacrés ritals... (ou faut dire "ritaux" ?).

Et puis les filles qui dansent sur elles-mêmes... l'alcool pur par shots successifs parce que personne n'a pensé à apporter du jus de fruits... le vieux fou rire au moment d'aller dormir parce que B. est tellement bourré qu'il est incapable de virer son pantalon tout seul.

Et puis le lendemain matin, le petit dej' tous ensemble. On s'échange des petits sourires complices en partageant café et brioche. Ensuite on est allé voir les magnifiques chevaux de la ferme d'à côté, qui devaient se les peler sévère. L'ami des animaux, S., a brisé la glace des abreuvoirs pour que Tornado et compagnie puissent boire. Et puis il a fallu rentrer à Paris... presque triste de quitter Moret (!)

Ca m'a fait super plaisir de vivre cette soirée là. Bon ça m'a pas fait plaisir de retrouver mes lunettes cassées le lendemain... alors que je les avais pourtant vachement bien protégées en les posant... ben par terre quoi. En même temps j'étais bourré, hein.

Mais malgré cet incident, je suis revenu avec le sourire aux lèvres et l'envie d'immortaliser ce passage à Moret par ces quelques lignes.

lundi 10 décembre 2007

Marlboro et instinct grégaire


Je n'ai jamais fumé. Oh j'ai bien essayé à plusieurs reprises. Ma première tentative reste une expérience assez drôle -rétrospectivement-. J'avais furtivement dérobé une Gauloise légère de ma grand-mère (elle s'en envoyait un bon paquet par jour, alors une de plus, une de moins...). A la première bouffée, ma déception était immense. Je trouvais que ca n'avait aucun goût, aucune saveur et pas le moindre effet. Je me suis dit que j'avais involontairement crapoté et qu'il fallait renouveler l'expérience en aspirant plus fort. Après avoir toussé pendant un quart d'heure et en voyant dans le miroir mes yeux tout rouges, j'ai compris que j'avais déjà eu de meilleures inspirations (wow - jeu de mots involontaire).

Donc la cigarette, je suis contre. Cancer, mort, odeur dégueulasse du tabac froid... expérience traumatisante pour un enfant de 12 ans. La cigarette est à l'origine de plein de trucs pas chouettes. Et puis j'ai parfois l'impression de tranquillement regarder certains de mes amis se suicider à petit feu sous mes yeux, préparant leur cancer de la langue ou du poumon.

Mais -car il y a un "mais"-, ce qui est indéniable, c'est que la cigarette crée une communauté. On demande une cigarette ou du feu aussi facilement qu'on demande l'heure. Alors que personne n'aurait idée de demander un chewing-gum à un passant (à part un fumeur assez lucide pour savoir qu'il pue de la gueule ?). Pour la cigarette, c'est différent. On aborde un inconnu sans problème grâce au prétexte du besoin soudain de nicotine. Et il y a un échange : la cigarette ou le briquet passe de mains en mains. De ce point de vue, la cigarette c'est un peu le bédo en moins bien. Je m'explique : le bédo, c'est le partage à son apothéose. Celui qui roule n'est pas particulièrement le propriétaire du bédo. On forme souvent un cercle (si c'est pas une belle image de la communauté ça) et le truc passe d'une bouche à l'autre. L'art de la soufflette (qui se rapproche étonnament du bisou, d'ailleurs) est aussi une belle illustration de cet échange. Donc quitte à choisir, je préfère le bédo à la cigarette. Et puis les effets du cône sont quand même beaucoup plus funs que ceux de la Marlboro.

Et mon deuxième argument pour défendre la cigarette, c'est que la fumée c'est quand même esthétiquement très beau. Elle permet de voir, de matérialiser la lumière (d'ailleurs on balance souvent de la fumée dans les concerts et les spectacles) et puis elle est très aérienne. Bon, en tant que non-fumeur, je lui préfère la vapeur d'eau qui s'échappent des lèvres quand il fait froid. En plus, elle peut matérialiser la parole. Je me suis aperçu que je trouvais ça très beau en regardant les films du Décalogue de Kieslowski (que je vous recommande d'ailleurs, même si c'est pas très gai).

Bref, depuis peu, j'ai décidé de garder toujours un briquet sur moi pour rentrer dans la communauté des fumeurs sans en subir les risques. Et tant que l'hiver sera là, je profiterai de ma vapeur d'eau, si pure comparée à leurs fumées toxiques.

vendredi 7 décembre 2007

Et tant pis pour le panthéon


A l'origine de ce blog, il y a une petite crise personnelle. Rien de bien grave. C'est un luxe d'être préoccupé par des problèmes de ce type. Mais voilà, je me suis aperçu que j'avais perdu toute confiance en moi et en ma capacité de "faire". Sans doute mon passage en classe prépa a-t-il laissé des traces de ce point de vue. On vous y apprend que tous les sujets ont déjà été traités... que toutes les idées, d'autres les ont déjà eues avant vous. Et que la seule chose dont vous soyez capables, c'est de recueillir humblement cet héritage sans le déformer et en le respectant. Je me suis retrouvé avec le poids de tous les génies sur les épaules. Difficile à vivre.

Et à présent, me voilà incapable de créer quoi que ce soit. Je me crois dépourvu d'originalité et de génie, et ma famille ne cesse d'envisager mon avenir d'un air suspicieux. J'ai déjà presque renoncé à faire exactement le métier que je veux. Evidemment parce que le monde artistique fonctionne beaucoup par relation (le nom de famille sur la carte de visite compte souvent plus que les lignes sur le CV...) Et également parce que l'excès d'humilité me fait penser qu'il faut laisser la place à d'autres personnes plus douées que moi.

Mon problème, c'est que je ne tolère plus la médiocrité. Ma vision est devenue manichéenne en quelque sorte : d'un côté les génies, de l'autre... le reste. Les ratés. Catégorie dans laquelle je m'enferme peu à peu.

Alors pourquoi ce blog ? Et bien pour reprendre peu à peu confiance en moi. Pour créer, d'une certaine façon. Pour pouvoir écrire en conservant un certain anonymat et ne pas craindre d'être jugé par mes lecteurs. Mi-atelier d'écriture, mi-divan virtuel (eh oui, vous voilà dans le rôle de psychanalystes...).

Bienvenue.